Contenu publié le : 28 septembre 2017 et modifié le: 28 septembre 2017
Le 9 août 2017, Monsieur le Premier Ministre Edouard Philippe a transmis sa feuille de route à Madame Agnès Buzin, Ministre de la Santé, qui l’a dévoilée ce 26 septembre.
Ces orientations d’action sont les priorités à venir de la politique de santé. D’emblée, il est souligné que « la première priorité sera de conduire une forte inflexion en faveur d’une politique de prévention beaucoup plus ambitieuse ». Cette phrase donne du baume au cœur à tous les médecins, tant la prévention est d’habitude l’arlésienne des plans santé, toujours citée, mais jamais réalisée. Hélas, ma joie a été de courte durée car la vision de notre ministre se limite à l’alcool, la sédentarité et le surpoids.
Des enjeux majeurs, certes, mais pas un mot sur le sommeil ? Sans doute son rôle est-il ressenti comme trop important pour s’abaisser à le citer dans un rapport ou est-il encore perçu comme un simple « bonus bien-être », malgré les multiples preuves scientifiques abondant chaque mois et prouvant le caractère vital de ce besoin qu’est le sommeil ? Toujours est-il que c’est une perte de chance pour tous les projets sommeil qui seront portés par les associations, les cliniciens, les chercheurs, qui candidateront sur des financements publics pour mettre en place des projets de prévention, de prise en charge, de recherche.
Curieux et incompréhensible à un moment où, justement, le rôle du sommeil est mis en avant par des recherches qui permettent de comprendre son rôle fondamental dans l ‘adaptation et la régulation de l’individu. Le sommeil est la partie cachée de notre être ; en quelque sorte le backoffice discret qui répare, reconstruit, nettoie, trie, engrange, stabilise nos cellules, notre physiologie, notre psychisme, notre enveloppe corporelle. Malheureusement, on constate que notre mode de vie le malmène et le désorganise de plus en plus. Notre société qui pense maîtriser le temps en maîtrisant la lumière, envahit le temps du sommeil pour le restreindre. Les études montrent que, depuis 30 ans, nous dormons une heure à une heure trente de sommeil en moins, et que cette tendance est encore plus importante chez les adolescents. D’une manière très préoccupante, nous observons aussi une diminution du temps de sommeil des jeunes enfants avec des conséquences sur la scolarité et la santé mentale qui semblent, paradoxalement, être des sujets prioritaires pour le gouvernement. Par ailleurs, notre rythme de sommeil devient de plus en plus irrégulier avec un jet-lag social le week-end qui touche maintenant toutes les tranches de la population.
Ne pas prendre conscience de cette situation risque de conduire les générations actuelles vers une dégradation de leur état de santé alors que nous avons les moyens de prévenir cette situation par l’éducation et la prévention. Les effets délétères de la privation de sommeil et de l’irrégularité des rythmes sont maintenant bien connus. Depuis les années 1980, sont bien identifiés les effets sur le retentissement cardiovasculaire en particulier, sur l’hypertension artérielle suivie par des maladies comme les infarctus ou les accidents vasculaires cérébraux. Puis la recherche a avancé et les liens entre manque de sommeil et métabolisme ont été mis en évidence. Quand on ne dort pas suffisamment, les hormones qui interviennent dans la régulation du poids et de l’appétit sont modifiées, en particulier la leptine et la gréline ainsi que l’insuline. Tout concourt alors à ce que l’appétit augmente alors que l’élimination des aliments est diminuée. La prise de poids est alors facilitée. Il y a aussi plus de risques de déclencher un diabète.
La privation de sommeil entraine également des conséquences dans la régulation immunitaire. Quelqu’un qui se trouve en déficit de sommeil induira des modifications au niveau des lymphocytes et d’autres systèmes qui interviennent dans l’immuno-régulation. L’organisme sera plus sensible à des infections et à certains types de cancers comme les cancers hormono-dépendants ; ainsi, le cancer du sein et le cancer de la prostate seront plus fréquents chez les personnes en privation de sommeil. Nous avons des données scientifiques solides qui étayent ces éléments.
En ce qui concerne les maladies neuro-dégénératives, pendant les périodes de sommeil, le cerveau a une activité très différente de celui de l’éveil. Certaines zones cérébrales fonctionnent et d’autres sont en phase d’hypoactivité ce qui permet un lavage neuronal dans ces zones-là. Les toxines qui s’accumulent sur les neurones sont ainsi éliminées ; en particulier les substances amyloïdes et les protéines taux qui sont impliquées dans les maladies neuro-dégénératives comme Alzheimer. Cette fonction de nettoyage ne se fait que pendant le sommeil. Enfin, on peut ajouter qu’un sommeil trop réduit, voire trop fractionné, va plus facilement faire le lit des dépressions.
Ainsi, le manque de sommeil va jouer sur tous les tableaux du fonctionnement humain, tant physiquement que psychiquement…
Mathew Walker aux USA vient de lancer des messages d’alerte sur cette progression de la dette de sommeil, estimant que nous vivons une « épidémie catastrophique de perte de sommeil ».
Visiblement, que ce soit aux USA ou en France, le discours des spécialistes du sommeil a du mal à être entendu. Alors qu’un plan national de prévention et d’éducation au sommeil pourrait singulièrement améliorer l’état de santé des populations.
Dr Sylvie ROYANT-PAROLA
Présidente du Réseau Morphée